Je
les ai trouvé beaux lorsqu'ils ont poussé la porte de la boutique,
la femme soutenait tendrement presque imperceptiblement les pas d'un
homme mince dont l'équilibre et les traits semblaient subir les
assauts de l'âge avec quelques difficultés. Il me disait quelque
chose cet homme et j'avoue que sur le coup il me renvoya l'image de
ce Céline vieillissant pinçant ses manuscrits sous les clameurs
mêlées des chiens et des perroquets. L'homme s'installa dans le
fauteuil et je trouvai rapidement la paire de bottines idéale pour
les petons de sa charmante épouse. Rompu à la pratique commerciale
je fis dériver la visite vers la collection masculine et l'homme
mince accepta de chausser - pour voir - le modèle lacé bleu que je
portais ce jour là.
Un
instant plus tard j'encaissais les deux paires :
-
Êtes vous dans notre fichier ? Quel est votre nom ?
-
Trintignant.
Ah
tiens comme... Mes yeux glissèrent sur la carte bleue que je
venais d'insérer dans le lecteur : Jean-Louis.
C'est
idiot mais une fraction de seconde je pensai anxieux aux quelques
titres de Noir Désir qui rôdaient parmi les 693 pistes diffusées
aléatoirement dans le ventre de la boutique.
Je
me rendis compte que nos mémoires de quidams ont toujours un temps
de retard sur le vieillissement des célébrités, que le passé fige
souvent dans nos esprits leurs traits révolus. Mes souvenirs étaient
encore accrochés à l'image fringante de ce CD près de mon
ordinateur J.-L.Trintignant lit Apollinaire. Là, c'était un
adorable mais vieil homme qui retrouvait son souffle dans les bras
blancs du Chesterfield, un couple en pleine parenthèse chaussante
monté du Gard pour saluer l'ami Dussolier qui jouait son Novecento
au théâtre des Célestins tout proche. Lorsqu'il a passé la porte,
toujours soutenu par le bras aimant de son épouse, j'ai simplement
glissé ...et merci pour la poésie !
En
tout cas, sachez-le, Monsieur Trintignant et moi portons les mêmes
chaussures bleues.
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Grégory
Parreira