Jean-Louis Trintignant

Je les ai trouvé beaux lorsqu'ils ont poussé la porte de la boutique, la femme soutenait tendrement presque imperceptiblement les pas d'un homme mince dont l'équilibre et les traits semblaient subir les assauts de l'âge avec quelques difficultés. Il me disait quelque chose cet homme et j'avoue que sur le coup il me renvoya l'image de ce Céline vieillissant pinçant ses manuscrits sous les clameurs mêlées des chiens et des perroquets. L'homme s'installa dans le fauteuil et je trouvai rapidement la paire de bottines idéale pour les petons de sa charmante épouse. Rompu à la pratique commerciale je fis dériver la visite vers la collection masculine et l'homme mince accepta de chausser - pour voir - le modèle lacé bleu que je portais ce jour là.

Un instant plus tard j'encaissais les deux paires :
- Êtes vous dans notre fichier ? Quel est votre nom ?
- Trintignant.
Ah tiens comme... Mes yeux glissèrent sur la carte bleue que je venais d'insérer dans le lecteur : Jean-Louis.

C'est idiot mais une fraction de seconde je pensai anxieux aux quelques titres de Noir Désir qui rôdaient parmi les 693 pistes diffusées aléatoirement dans le ventre de la boutique.
Je me rendis compte que nos mémoires de quidams ont toujours un temps de retard sur le vieillissement des célébrités, que le passé fige souvent dans nos esprits leurs traits révolus. Mes souvenirs étaient encore accrochés à l'image fringante de ce CD près de mon ordinateur J.-L.Trintignant lit Apollinaire. Là, c'était un adorable mais vieil homme qui retrouvait son souffle dans les bras blancs du Chesterfield, un couple en pleine parenthèse chaussante monté du Gard pour saluer l'ami Dussolier qui jouait son Novecento au théâtre des Célestins tout proche. Lorsqu'il a passé la porte, toujours soutenu par le bras aimant de son épouse, j'ai simplement glissé ...et merci pour la poésie !

En tout cas, sachez-le, Monsieur Trintignant et moi portons les mêmes chaussures bleues.

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Grégory Parreira