Très chère Edmonde,
il
serait plus poli de dire "Chère Madame Charles-Roux", mais
ce sont ces mots "Très chère Edmonde" qui résonnent ce
matin dans ma tête. Pourtant, au-delà d'une connaissance
encyclopédique, je ne vous connais pas et vous me connaissez encore
moins mais, hier soir, vous êtes entrée dans ma demeure par cette
lucarne appelée télévision. Soudain vous étiez dans mon salon à
me parler de vous, des langues qui ont rythmé votre vie, des gens
que vous avez aimés, des livres que vous avez écrits et puis
surtout vous avez dit une petite phrase, anodine, sur les gens des
villes qui sont trop pressés, qui ne prennent plus le temps de se
parler. Et cette petite phrase est restée en suspens et j'ai pensé
qu'une femme qui disait cela n'était certainement pas femme à
figurer en liste rouge dans un annuaire téléphonique. J'écris
souvent des courriers aux gens qui me touchent, aux écrivains qui me
bouleversent, parfois même aux personnalités
qui m'agacent, je les écris en silence et ils demeurent à la poste
restante de mon imaginaire. Mais votre adresse était là, sur
l'écran de mon ordinateur, à minuit passé. J'espère donc que
cette courte lettre vous parviendra, j'y joins un livre, mon livre, afin de partager à mon tour un peu de moi avec vous,
partager mon amour des langues, mon amour des gens et partager
surtout un peu de poésie. Nécessaire poésie...
Permettez-moi
de vous embrasser, très chère Edmonde, et de vous souhaiter un très
bel été.
Edmonde
n'a pas répondu. L'été est passé.
Sa
mort a été annoncée le 20 janvier 2016.
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Samantha Barendson