Catherine Deneuve

Le jour où je suis allée chez Catherine Deneuve 

Sixième arrondissement de Paris, en 1984. Quand les beaux-jours arrivaient, nous quittions la place de la Sorbonne pour rejoindre Saint-Sulpice. Notre bande de filles se retrouvait au Café de la Mairie. Étudiantes en lettres, en histoire ou en langues, dès les beaux jours nous désertions les amphis de l’université pour cette jolie place où trône la fontaine de Louis Visconti. Dan Brown n’a pas encore sévi. Et l’église élégante aux clochers asymétriques est épargnée par les hordes de touristes américains à la recherche du code de Vinci.

La terrasse est un excellent poste d’observation, on y voit passer des écrivains, les prestigieux professeurs de la Sorbonne, les sénateurs qui sortent du Palais du Luxembourg, et de nombreux comédiens et actrices. Françoise et moi étions devenues maîtres au jeu des silhouettes. Reconnaitre le pas feutré de Dominique Sanda, l’hésitation de Carole Bouquet et bien sûr… la majesté de Catherine Deneuve.  
Énigmatique et sensuelle. Quelques mois plus tôt, elle dévorait à pleines dents la gorge de Susan Sarandon sous l’oeil bienveillant de David Bowie. Les prédateurs nous avaient électrisées. Françoise aimait les femmes, et cette scène d’amour entre les deux actrices sur Lakmé de  Léo Delibes avait un peu secoué ses sens. Pour ma part, j’étais plus séduite par le charme androgyne de Bowie, mais nous partagions la même fascination pour "la Deneuve".

Enquête, filature, nous finissons par découvrir sa tanière. Un immeuble sobre en pierres claires. Des heures à peaufiner une lettre, des mots d’adolescentes qui disent l’admiration. Quelques atermoiements chez le fleuriste, et nous voilà en mission. 
Il fait un temps magnifique, la fin de matinée nous semblait un bon moment pour ne pas -trop - la déranger. Nous attendons devant la porte cochère, espérant le voisin qui pianotera sur le digicode.

Enfin nous entrons avec nos fleurs et notre compliment. 
Quel étage ? Au fond de la cour ou devant ? Madame Deneuve ne peut pas habiter côté cour, nous tentons le jardin, les appartements nobles qui donnent sur la place.  
Des escaliers tendus d’un tapis rouge retenu par des barres en cuivre, d’élégants stucs sur les murs, de vastes paliers. Et pour la première fois depuis notre ascension, pas de nom sur la porte, pas de plaque gravée. Nous y sommes.
La sonnette cristalline retentit. Une élégante femme blonde nous ouvre la porte. L’espace de quelques secondes, j’ai vu la Grande Catherine. Accorte, le sourire doux et tranquille, une certaine bienveillance en regardant notre bouquet et notre enveloppe.
- Bonjour… Pardonnez-nous de vous déranger…  Nous souhaitions vous… lui offrir… enfin…  
Une grande entrée lumineuse, une atmosphère paisible. J’aurais voulu me souvenir de tout.
Ce jour-là, j’ai bredouillé devant la soeur de Catherine Deneuve.

L’année dernière sur le quai A de la Gare de la Part-Dieu, "Belle de Jour" attendait le train pour Paris. Même cachée derrière ses grandes lunettes de soleil, on ne voyait qu’elle. Sa prestance, son impatience, ses talons qui claquaient, cette façon unique de tourbillonner entrainée par son port de tête. 
Nous n’étions que quatre devant le repère n°1. Nos lunettes de soleil se croisent. Elle m’offre un léger sourire. Je n’ai pas osé lui demandé si elle avait aimé nos fleurs.


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Edith Simonnet