Jil Caplan à la fête de la moule
Un
soir de juillet 1997, tandis que je travaillais comme coursier
dans un journal, j’ai filé à la fête de la Moule de
Wimereux avec une jeune et sémillante journaliste-stagiaire. Je ne
sais plus précisément les raisons qui nous avaient poussés à
faire cette escapade de près de 300 km en voiture jusque
là-bas.
Je
crois que
nous avions appris
dans la presse que Jil Caplan serait la tête d'affiche de la fête
de la Moule de cette station balnéaire : ayant d'abord cru à
un canular, nous avions voulu authentifier l'information.
Au
milieu de la fête de la Moule qui battait son plein, Jil Caplan
était bien présente, sous un chapiteau de toile, parmi les odeurs
de moules-frites dont les gens se bâfraient à toutes les tables.
Mon amie journaliste ne put s’empêcher tandis que nous buvions un
verre, en compagnie d’un couple d’amis, de se rendre jusqu'à
"la loge" de Jil Caplan pour tâcher d’obtenir une
interview. Elle revint, ravie, quelques minutes plus tard. Jil Caplan
avait accepté de lui répondre. Décrocherait-elle un scoop ? Des
révélations sur la vie privée de la chanteuse ? Sur sa
prochaine collaboration artistique ? Son nouveau projet
discographique ? L’interview devait se dérouler après sa
prestation.
Malgré
la reprise de son ancien tube Tout ce qui nous sépare,
Jil Caplan chanta dans l’indifférence quasi générale. Elle
semblait visiblement agacée de se trouver ici. J’étais triste
pour elle. Je trouvais qu'elle ne méritait pas cette dégringolade,
ce désamour soudain. Devait-elle désormais courir le cachet, en
jouant à la chanteuse de seconde zone ? Elle, que je revoyais
rayonnante et pêchue, quelques années plus tôt, dans une des
émissions musicales de Naguy ou lorsqu’elle avait remporté, en
1992, une Victoire de la musique dans la catégorie révélation
féminine de l’année…
Jil
Caplan interpréta néanmoins une quatrième chanson, face à un
public clairsemé dont nous faisions partie, avec le même
professionnalisme, micro au poing.
Je
m'étais laissé emporter par les paroles de sa voix sensuelle et
veloutée, avec ce ciel d'été lumineux et sans nuages qui
brillait au-dessus de nos têtes, lorsque tout à
coup sa voix, si envoûtante, s'est mise à dérailler. Interrogation,
puis stupéfaction dans l'assistance... lorsque tout le monde a
compris que la chanteuse avait effectué jusque là un play-back
presque parfait !
Entre
temps, Jil Caplan s'était retournée vers le gars de la sono, en le
fusillant du regard. Car, pendant un laps de temps démesurément
long, le jeune gars, planqué derrière sa console, n'avait pas du
tout réagi, laissant le CD rayé répéter, en boucle, les mêmes
paroles désenchantées. Il eut beau remettre en catastrophe le
morceau dans la platine et Jil Caplan reprendre sa chanson au
début : le mal était fait ! Le CD défectueux sauta
puis re-sauta à nouveau...
Vexée,
l’artiste avait alors quitté précipitamment la scène avant de
rejoindre son taxi avec chauffeur qui l'attendait derrière des
barrières de sécurité, sans saluer personne, ni adresser un mot
non plus à mon amie journaliste qui aperçut, comme nous, la
voiture fuir en trombe de la traditionnelle fête de la Moule, sous
le soleil couchant.
Le
lendemain, j'avais imaginé que mon amie journaliste relaterait
l'incident dans la presse régionale en titrant, par exemple : À
la fête de la Moule de Wimereux, la chanteuse, Jil Caplan, pas
vraiment dans son assiette.
Mais,
sans doute, dans une tristesse partagée, s'était-elle refusée à
tirer sur l'ambulance.
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François-Xavier Farine